Pour conclure notre danamag, voici l'habituel conte de notre maître barde, pandryhan.
Une laine pour le roi
C’est bientôt l'anniversaire du roi ! Tout le monde le crie par-dessus les toits. Ah l'anniversaire d'Allister… Quel évènement ! Tout Amakna est en fête ces temps-ci.
Au château, la cour s'active ! Les serviteurs préparent le grand banquet ; aux cuisines, ça remue, tous les cuistots sont aux fourneaux ; les nobles de la cour se préparent ; les gentes dames se demandent déjà dans quelle robe échanger les derniers potins royaux ; la garde sort ses décorations pour pavaner fièrement devant les demoiselles à marier ; les grands héros du Monde des Douze sont invités, tout comme les riches bourgeois des grandes villes ; les paysans et marchands du coin auront même le droit d'organiser leur propre banquet et de célébrer l'évènement entre eux... Enfin à leur façon : farces grossières aux airs satiriques et vilains discours de petit roi hypocrite, voilà qui seront au rendez-vous !
Oui tous les habitants sont heureux, l'anniversaire du roi est bientôt là. Tous ? Non il y en a un, qui lui, n’est pas heureux.
Fallerson était un fidèle d’Osamodas. Il était l’un des plus grands tailleurs réputés d’Amakna. Il avait un incroyable don pour augmenter le pouvoir magique de quelconque vêtement. Or, cette semaine-là, il y avait quelque chose qui n’allait pas. Pourtant ses affaires étaient très correctes. Il avait eu plusieurs centaines de commandes de vêtements chauds pendant l'hiver. Avec ça, il avait largement de quoi passer toute l'année à faire bronzette !
Mais il y avait une autre commande qu’il avait reçue. Un peu plus… particulière, oui c’est le mot. Une lettre, à l’écriture fine et noble, tracée à l’encre de kralamoure et à la pointe aiguisée d’une plume provenant de la volière royale. Une commande de messire le roi Allister en personne, avec un million de kamas en récompense ! Ce qu’il désirait ? La plus magnifique cape qui soit. Il y avait ci-jointe un liste bien précise des ressources avec lesquelles broder la cape...
Voyons voir… La peau de koalak n’était pas très difficile à trouver, ni le pot de gelée à la fraise. Pour les pétales Malibout il connaissait certains alchimistes capables de lui en procurer, la laine de bouftou il en avait un bon gros stock, et il lui restait une petite dizaine de feuilles vendues par des aventuriers les ayant arrachées de leur propres mains au Blop Griotte Royal. Le problème n’était pas là. Mais à la dernière ligne, quelques mots retinrent … 20 pods de laine de Bouftéhou l’Introuvable…
Comme son nom l’indiquait, personne ne l’avait jamais trouvé. Ce n’était qu’une vieille légende inventée par de vieux Fecas gâteux de garder leurs troupeaux nuits et jours. D’après ces calembredaines, Bouftéhou était un énorme bouftou carnivore à trois cornes, aux dents terriblement aiguisées et aux grands yeux rouges qui pouvaient paralyser n‘importe quel héros. Or, le roi Allister voulait de la laine de cette créature. On raconte dans les vieux livres qu’un seul pod de cette laine aux pouvoirs magiques pouvait guérir et éloigner la maladie de son porteur. Voila pourquoi le souverain d’Amakna la désirait. Malheureusement, ce n’était qu’une légende. Et personne ne savait où pouvait bien vivre ce monstre, encore moins un simple couturier. Le problème c’est qu’il devait terminer cette cape et que le roi devait la recevoir avant l'anniversaire du roi. S’il ne réussissait pas, sa réputation en prendrait un coup. Il n’osait même pas songer à la colère du roi, et adieu le million de kamas. Voila pourquoi il était malheureux.
Un beau matin, alors qu’il ne restait qu’à peine une semaine au pauvre Fallerson pour terminer la cape d'anniversaire du roi, on frappa à sa porte. C’était un jeune Iop, aux cheveux blonds dressés en pétard sur sa tête comme beaucoup d’autres (Oui c’est la mode chez les Iops en ce moment à ce qu’il parait).
« Bien le bonjour, très cher habitant, annonça-t-il en s’inclinant poliment.
- Euh… bonjour, répondit Fallerson, plutôt déconcerté.
- Je me nomme Osegivre, chevalier Iop en quête d’aventures ! Si vous avez une poursuite, une mission, une campagne, une quête , un combat ou un voyage dangereux à accomplir, je suis votre homme ! ».
En même temps de délivrer toutes ces paroles d’un coup (chose assez étonnante pour un Iop), il faisait de grands gestes dans le vide, brandissant son épée et tranchant des ennemis invisibles, jusqu’à rengainer et faire un sourire crâneur à l’Osamodas. Ce dernier le regardait d’un… Comment dire ? Drôle d’air…
« Je ne suis qu’un artisan, allez voir ailleurs, grogna-t-il après un moment. »
Et il claqua la porte. Ah les aventuriers… Ils ne manquaient pas de culot. Venir embêter les gens dès le matin. Ah ceux-là… Oui il faut l’avouer, Fallerson n’avait jamais vraiment apprécié les aventuriers.
Lorsque le petit tofu de l’horloge sonna onze heures, Il sortit de chez lui et se dirigea vers la place marchande. Là, étaient installés mille vendeurs aux stands divers dont les cris provenaient de partout.
« Allez, venez jeter un coup d’œil à mes amulettes ! Venez voir ! »
- Potions de tout genre. Philtres d’amour et breuvages de crapauds-muffles, on a de tout ! Approchez approchez !
- Ils sont beaux mes melons ! Ils sont beaux ! »
C’est ici qu’on peut faire les meilleures affaires du pays ! Des marchands de toutes les régions viennent pour vendre toutes sortes de produits exotiques. Aujourd’hui, Fallerson avait rendez-vous avec un vieil Enutrof qui possédait des peaux de koalak à bon prix, enfin à prix d’Enutrof…
« Quoi ?! Vous voulez que je dépense 60 000 kamas pour seulement huit pieds sur quatre de peau de koalak ?! Je n’ai jamais rien entendu de plus insensé ! »
Quand je vous disais à prix d’Enutrof… Le marchand, tout confus et ayant peur d’un scandale qui dissuaderait ses habituels clients de venir, lui donna aussitôt l’adresse d’un vendeur de peaux, habitant dans une maison isolée au Nord des Montagne des Craqueleurs.
Le tailleur se rendit au portail Zaap le plus proche. Une fois chez ce vendeur, il avait réussi à se mettre d’accord avec lui sur un prix plus convenable. Quand il ressortit de la chaumière et qu’il emprunta le chemin vers le Zaap le plus proche, il entendit un cri. D’une nature plus curieuse que courageuse, il décida d’aller vers l’endroit d’où il provenait. Il s’aperçut bien vite qu’il s’agissait de la Forêt des Abraknydes. A la lisière de la forêt, devant les arbres menaçant, il hésita à avancer encore. Mais quand le deuxième cri retentit, il prit son courage à deux mains et courut droit devant lui, plongeant dans l’obscurité des lieux.
Alors qu’il courait depuis à peine quelques secondes, le sol se déroba soudainement sous ses pieds et il fut plongé, tête première, dans un long et large toboggan de terre, parfaitement vertical, qui descendait sans jamais s’arrêter. A ce moment précis, il ne pensait plus qu'à une chose...
« AaaaaAAAAAAAaaaahhh !!!! Au secours, keskseksa ?! »
Après, une glissade de plusieurs minutes, il tomba enfin, dans un tas et poussa un deuxième cri, de douleur cette fois. Après s’être frotté ses pauvres fesses (ce qui peut sembler très étrange vu qu’il est atterrit sur là tête), il observa d’un bref coup d’œil les lieux.
C’était une sorte de caverne creusée dans la terre, assez grande et haute. Seule la lumière qui provenait de là d’où il était tombé éclairait la pièce. Ce n’est qu’alors qu’il remarqua que le tas sur lequel il était arrivé, était un empilement de squelettes de toutes sortes, même des squelettes humains, se rendit-il compte, le sang glacé. Il arriva à distinguer un couloir sombre là-bas. Il regarda le tunnel vertical par lequel il était arrivé. On voyait un petit carré de lumière tout en haut. Il lâcha un « Hé ho ! » dont l’écho résonna encore et encore après s’être enfin arrêté au bout de plusieurs minutes. Il devait être très profond sous terre.
« Hé bonjour ! »
Il se retourna vivement. Le jeune Iop de ce matin était là, lui aussi tombé dans cet étrange piège.
« Oh non pas lui… »
Mais ils n’eurent pas le temps de discuter plus longtemps, un grondement sourd venait de sortir du couloir obscur. Une silhouette imposante s’avança. On pouvait distinguer trois cornes sur son crâne. Ses dents pointues brillèrent. Ses deux yeux rouges fixaient les deux hommes. Fallerson ne pouvait plus bouger. Mais qu’est-ce qu’il se passait ?! La bête s’avança. On pouvait maintenant la distinguer entièrement. Son corps était recouvert d’une épaisse laine semblable à celle des bouftou. Non ! Impossible ! Mais si... Bouftéhou l’Introuvable ! C’était lui.
Le monstre fit un pas de plus. Fallerson s’aperçut alors qu’il tremblait. Le Iop, lui brûlait de donner des coups d’épée dedans mais apparemment, il était aussi paralysé et ne pouvait atteindre de ses doigts son fourreau. Quelle ironie ! Se faire dévorer par la bête qu’il a tant désiré trouver. La créature se mit alors à courir vers Osegivre (le Iop, vous vous souvenez ?), les dents claquant l’air. Mais rien à faire, la pauvre victime ne put bouger d’un pouce ou faire un quelconque geste. Elle finit avalée par la terrifiante bête, après une horrible séance de mastication dont je vous passerais les détails.
Malheureusement pour lui, Bouftéhou était allergique à la cervelle de Iop, qui ne valait guère mieux que celle d’un tofu. Cela provoquait des démangeaisons très désagréables et de subites envies de dormir. Il tituba légèrement et s’écroula, endormi, dans la flaque de sang de ce qu’il restait de son repas, son lourd (voir très lourd) ronflement s’élevant et résonnant dans les cavités de la grotte.
Ça alors ! A peine le monstre eut-il fermé les yeux que le sortilège de paralysie s’estompa. Fallerson pouvait de nouveau gesticuler autant qu'il voulait. Désirant profiter le plus possible de l’occasion, il sortit sa paire de ciseaux, et découpa le plus possible de laine de l’animal, en essayant d’en prendre là où il y avait le moins de sang possible. Une fois la bestiole presque totalement tondue et la laine rangée dans sa besace de voyage, il jeta un drôle de regard à la corne qui jonchait sur son front. Hum… Oh et puis non il ne fallait mieux pas risquer de le réveiller, et mieux vaut ne pas être trop gourmand !
Il invoqua son dragonnet, le chevaucha et décolla par le trou qu’il avait emprunté à son insu pour atterrir dans cette caverne.
Et voila, il rentra chez lui sous le soleil luisant. Il avait enfin cette fameuse laine et même un bon stock. Le roi allait pouvoir avoir sa précieuse cape et Fallerson recevoir sa récompense. Ah, cet anniversaire commençait bien...
FIN